Conférence au congrès commun de l’UNAID et des maîtres d’œuvre du SYNAMOME

Pour la première fois, nous partageons avec les maîtres d’œuvre qui viennent eux-mêmes de fusionner leurs organisations représentatives, un congrès par principe moment phare de l’année. Conclusion heureuse d’un long travail de rapprochement qui vise à unir nos forces pour une meilleure reconnaissance de nos métiers, c’est aussi l’occasion de connaître et faire connaître nos différences, sans lesquelles la confusion serait la règle.

Et à propos de confusion, nous avons assisté à une démonstration éclatante lors d’une de nos assemblées, quand notre fonction fut ingénument assimilée, au détour d’une phrase malheureuse, à celle des décorateurs. On a même entendu parler de tiers œuvre, au sens de la cinquième roue du carrosse dont on se demandait bien ce qu’elle venait faire là, quasiment une danseuse. Beau métier au demeurant, que celui des décorateurs, ils embellissent les intérieurs en traitant avec goût toutes ces surfaces que nos amis anglo-saxons appellent génériquement les skins, les peaux, ce qu’on voit, qu’on peut toucher. Et il est vrai d’ailleurs que ces compétences ne nous sont pas étrangères puisqu’elles concluent généralement nos prestations qui vont même un peu plus loin, jusqu’à la création du mobilier voire des objets concourant à la satisfaction de nos donneurs d’ordres. C’est du reste le sens premier du D, pour design, qui clôture notre acronyme UNAID, au sens du design d’auteur.

Mais avant ce D, il y a AI, pour architecte d’intérieur. Évidemment, l’ignorance de cette dimension première n’a pas manqué de soulever une bronca dans nos rangs. Quelques paroles vives furent lancées en l’air et retombèrent fort heureusement sans faire de blessés graves. Mais quand même, les réactons enflammées démontrèrent qu’il allait falloir expliquer, ne fut-ce que pour apaiser, en tout cas définir pour bien se comprendre. Et puis, si une confusion aussi dommageable pouvait faire florès au sein d’une corporation aussi proche, quoi d’étonnant alors qu’elle se propage indument dans le grand public.

Au demeurant, nous avons souvent à ferrailler avec cette restriction de notre domaine lorsque les architectes nous traitent de décorateurs, appellation voulue par eux rabaissante. Nous ne manquons pas alors de les réduire à un rôle de façadiers et ainsi va la guégerre corporatiste d’un autre temps qui peut se poursuivre sine die. Mais à la longue, c’est fatiguant, assez stupide et surtout parfaitement stérile.

Car il serait tout aussi absurde de considérer que les architectes peuvent ne jamais mettre les pieds à l’intérieur, se contentant de faire bonne figure aux édifices qu’ils conçoivent, que d’imaginer un architecte d’intérieur qui n’interviendrait pas sur la forme finale du bâtiment. Certes, les sensibilités et les approches — tout comme les formations — sont différentes, mais dans tous les cas il s’agit bien de construire. C’est d’ailleurs ce qui fait l’exergue de notre métier : 

Afin d’être cohérents et avant que d’entrer dans la subtilité intérieure de notre art, nous allons illustrer son incidence sur la constitution même des bâtiments.

Pour commencer, une anecdote assez piquante. Je suis associé depuis plus de quinze ans, pour la plupart des affaires importantes, avec un architecte desa. Nous apportons tour à tour des affaires, sujets d’étude pour lesquelles la combinaison de nos compétence est indispensable. Parmi ses œuvres majeures, figurent deux monastères construits il y a vingt ans en France dans le plus pur style cistercien. C’est pourquoi un aréopage de moines américains est venu nous rencontrer pour nous confier l’étude du plus grand monastère californien, au Sud de Los Angeles. Stupéfaction lors du premier entretien avec cette délégation : la première question qui nous fut posée concernait la distance à respecter entre les bancs de l’église !!! Il nous a fallu quelques minutes pour comprendre qu’en effet, la jauge devant être de 500 fidèles, cette question déterminait la longueur de l’église, donc la dimension du monastère lui même, nécessairement sur un plan carré, donc l’ampleur du terrassement… qui chiffrait à lui seul, dans la montagne où ils allaient élire domicile, à plus d’un million de dollars. On comprend qu’ils aient pu âprement discuter le moindre inch de confort sur l’agenouilloir ! Vu par le petit bout de la lorgnette, il ne s’agit là pourtant que d’ergonomie, sous-catégorie fonctionnelle de l’architecture intérieure. Mais il est vrai que dans cette culture outre atlantique, la hiérarchie impériale entre architect et interior designer n’existe pas. Chacun contribuant au mieux à la cohérence de l’édifice, à l’adéquation de la forme à la fonction, la pertinence des idées avancées est le seul critère de validation.

Mais revenons en France. Lorsque le maire d’une petite ville du Languedoc retient notre candidature pour la construction de son auditorium, l’assemblage des savoir-faire lui apparaît tellement indispensable que c’est une condition du règlement d’appel d’offre des concepteurs. Et, de fait, le programme est un peu une quadrature insoluble car la hauteur cumulée des exigences techniques va engendrer un monument surplombant la mairie, voisine de quelques mètres. Symboliquement impensable. C’est en triturant l’agencement intérieur, à la fois du dispositif scénographique et de la salle que la solution satisfera tout le monde. Le grill remplacé par d’un jeu complexe de perches mobiles, l’angle de covisibilité finement remanié, une disposition en amphithéâtre vont faire gagner les trois mètres qui rendent le profil recevable.

À l’opposé des feux de la scène il fallait assurer la discrétion nécessaire aux artistes pour leurs allées et venues entre l’intérieur et l’extérieur, à l’écart de l’espace public et de la technique pour répondre à ce besoin d’intériorité d’un petit bout d’extérieur prolongeant les coulisses. Alors on a découpé le mur « rempart » de deux ouvertures, la porte dérobée de l’entrée des loges et le perchoir du fumoir jouxtant la tisanerie. C’est bien depuis l’intérieur que l’édifice à pris forme, sans rien renier du parti initial qui voulait finir de circonscrire la place de la mairie par ce mur faisant frontière, à la fois réelle et symbolique. Cette fois c’est donc aussi avec l’urbanisme que l’intérieur opère sa connexion.

Pour finir d’illustrer ce mouvement qui procède du plus petit vers le plus grand, un autre domaine, celui du handicap. Non, pas les PMR dont la libre circulation est désormais assurée par une batterie de règles exigeantes, mais le handicap mental. Quand le directeur de cet établissement spécialisé m’annonce que nous allons devoir restructurer et agrandir la maison sans faire déménager les résidants, je crois tout d’abord à une plaisanterie un peu caustique. Mais non, c’est pour de vrai, et l’argument est imparable : les adultes hébergés sont totalement insérés dans la vie du village, assez instables par eux mêmes pour qu’on n’ajoute pas au tracas de la transformation de leur espace intérieur un arrachement à leurs relations sociales proches. Il va donc falloir imaginer comment faire passer la surface utile de 1000 à 2000 m2 tout en maintenant la vie sur place. Cette fois ce sont non seulement les exigences de perceptions intérieures et d’organisation du service qui vont présider à l’architecture, mais tout autant l’organisation possible du chantier, intra muros dans une enceinte foncière très restreinte qui plus est… 

Le monde à l’envers, certes, mais pour des personnes qui on la tête à l’envers c’est la seule façon de ne pas perdre l’endroit. Je vous fais grâce des dédales éphémères de circulations protégées qu’il a fallu inventer pour mixer la vie du chantier avec celle de ces populations fragilisées, mais le pari a été tenu, et gagné. Et puisque la commande était de reconstituer la totalité d’un univers sécurisant et accueillant, la mission globale a également intégré la création de mobilier adapté au mode de vie particulier de ces personnes qui sont tout autant des citoyens que vous et moi. Plus que jamais, cette opération a permis de mobiliser l’étendue d’un métier qui va des fondations jusqu’à la petite cuillère dans le tiroir, en passant par toutes les phases de la conception, de la démolition et de la construction. Sans oublier évidemment la décoration qui est une des noblesses de nos engagements.

Puisqu’il est maintenant clair que l’architecture intérieure intervient nécessairement en profondeur sur la structure des bâtiments, nous allons pouvoir nous préoccuper de l’expérience qu’elle peut offrir à ceux qui y vivent.

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